Lorsque Carole s’étira dans son lit le lendemain matin, la soirée de la veille lui revint par bribes. Isabelle toujours aussi sémillante, les verres de vin, les conversations… jusqu’à son inscription express sur DisonsDemain !
S’adressant à sa siamoise qui l’observait depuis le bord du lit, Carole déclara :
— Tu le crois, ça, ma Praline ? M’inscrire sur un site de rencontres ?
La chatte la gratifia d’un miaulement que Carole interpréta comme une approbation, puis se dirigea vers la cuisine. Depuis toute petite, il fallait l’accompagner à sa gamelle pour qu’elle daigne manger.
Alors que Carole préparait son café matinal, les souvenirs de la veille se firent plus prégnants. D’un côté, les paroles d’Isabelle qui résonnaient encore et toujours : « on n’a qu’un tour de manège, tu dois en profiter maintenant ! » et, de l’autre, ses certitudes. Elle n’éprouvait aucune rancœur vis-à-vis de son ex-mari, se réjouissait même de son remariage. Quoi qu’elle puisse en dire en public, Audrey lui convenait à merveille. Et surtout, Carole vivait parfaitement son célibat, choisi et assumé. Le regard perdu sur l’horizon qu’elle apercevait depuis la baie vitrée, elle refit en accéléré le film de sa vie. Sa rencontre avec Patrick, leur mariage, la naissance des enfants, leurs premières années… Les bons moments, et les moins bons. Puis le constat qu’une page s’était tournée. Leur divorce, lisse et indolore. C’était horrible à constater, mais quelque part, elle enviait celui d’Isabelle, bien saignant, à la mesure des personnalités passionnées et de l’amour qu’ils avaient pu éprouver l’un pour l’autre. Est-ce que cela signifiait que, finalement, elle n’avait donc pas « aimé » Patrick ?
Une chose était sûre : elle n’était pas passée à côté de sa vie. Tout était sous contrôle, tout allait bien. Désespérément « bien ». Lisse et sans aspérité, telle était l’existence qu’elle s’était choisie. Parce qu’il y a un temps pour tout et qu’elle n’aspirait plus désormais qu’à cette tranquillité. Lorsque ce constat fut clairement posé, Carole ressentit une fulgurance, un éclair qui la traversa soudain : après tout, que risquait-elle à tenter le coup ?
Sans plus réfléchir, Carole s’installa sur son canapé et attrapa son téléphone portable. Le profil créé la veille était toujours là et le site lui proposa d’installer l’application, ce qu’elle fit. Quelques instants plus tard, après avoir entré son identifiant et mot de passe, elle retrouva le profil qu’Isabelle lui avait concocté. À haute voix, elle commenta :
— Tant qu’à essayer, autant faire les choses bien !
Elle repassa sur les questions auxquelles Isabelle avait répondu à la va-vite. Si elle était bien sûr toujours non fumeuse, elle prit quand même soin de mentionner Praline, car quelqu’un qui n’aimait pas les chats, c’était out tout de suite !
Romantique ? Voilà une question qu’elle ne s’était pas posée et à laquelle elle répondrait plus tard.
Prête pour une relation sérieuse ? Cette fois-ci, pas de doute : « laissons faire le hasard » semblait le meilleur choix.
Lorsqu’il fut question de son « pitch », elle conserva la formule d’Isabelle concernant son projet de bergerie, mais prit quand même soin d’ajouter ses traits de caractère principaux. Un des avantages de la cinquantaine, c’est qu’en principe, on se connaît bien. « Décontractée, libre, indépendante, terre à terre, avec un grand sens de l’humour », voilà qui la caractérisait suffisamment bien.
Il ne restait plus qu’à compléter ses centres d’intérêt, parce qu’Isabelle avait raison, ne mentionner que le bricolage, c’était risquer de ne croiser que des profils « Bob le bricoleur » ! Allez, une petite touche de randonnées, la cuisine, des cinés et des expos et la lecture, voilà de quoi donner une idée plus précise de sa personnalité.
Satisfaite, Carole valida son profil. Elle était prête.
Mais avant de se lancer, elle réalisa : il lui fallait une photo de profil !
Le moment n’était pas aux interrogations existentielles quant à l’importance de l’apparence ou non. Il lui sembla évident que sur un site de rencontres, il fallait tout de même des repères. Répondrait-elle à un profil sans photo ? Certainement pas. Il y avait donc de fortes chances qu’il en soit de même de l’autre côté de l’écran.
Elle envisagea de prendre un selfie, mais se souvint qu’elle détestait ça et se rabattit sur des photos plus conventionnelles. Elle en trouva une prise lors de l’anniversaire d’Élodie et la recadra. C’était parfait.
Une fois la photo en ligne, elle en profita pour naviguer un peu dans l’application. Après tout, il ne fallait pas s’attendre, de bon matin, à ce que les prétendants se bousculent au portillon. Carole consulta le « carrousel », qui lui proposait pas moins de cent profils à étudier et à approuver ou écarter. Un bon moyen de voir de plus près le genre de clientèle du site, et d’affiner aussi les futures sélections qui seraient faites pour elle…
Très vite, Carole se prit au jeu, likant le profil de Jean-Jacques qui aimait la rando et son golden retriever, laissant de côté celui de Raoul, qui n’avait comme seul centre d’intérêt que la cuisine et une photo, il fallait l’avouer, bien trop floue pour être honnête.
Gonzague avait l’air intéressant, mais il avait sans doute un petit côté un peu trop intello, non pas qu’elle n’aimât pas cela, mais plutôt parce qu’il semblait obnubilé par la chose, ainsi qu’en témoignait sa « punchline » : « Qui sommes-nous ? Où allons-nous ? La vie est un chemin, partageons-le à deux ». Carole ne put s’empêcher de penser qu’il serait particulièrement compliqué de cheminer avec quelqu’un qui ne sait pas où il va… Allez, un non rapide.
Son cœur s’accéléra lorsqu’elle reconnut… Robert, de la compta !
Bon sang ! Comment n’avait-elle pas pensé à ça ? Carole sentit la panique monter en elle et quitta l’application, comme si cela suffirait à écarter le problème. Elle savait bien sûr que les choses n’étaient pas aussi simples et se résolut à appeler Isabelle :
— Isa ! Au secours ! Ton truc, là, DisonsDemain ! Il y a Robert, mon collègue, dessus ! Il va me voir et je n’ai aucune envie qu’il s’imagine que je cherche quelqu’un !
— LE Robert de la compta ?
— Oui ! Bon Dieu, y’a pas un truc pour régler ça ? Je vais effacer mon profil dare-dare !
— Mais non, ma chérie ! Tu crois que tu es la seule dans ce cas ? Ils ont pensé à tout chez DisonsDemain ! Il y a le mode incognito pour ça, et puis tu peux le bloquer, ton Robert !
— Incognito ?
— Oui. Tu choisis d’être incognito et hop, on ne te voit plus quand tu navigues, elle est pas belle la vie ?
— OK, mais je vais quand même le bloquer, hein, on ne sait jamais.
— Bien sûr, tu peux faire ça aussi, ma chérie, mais je vais te dire, je crois que tu as passé l’âge de te justifier d’être sur un site de rencontres, tu ne crois pas ?
Carole marqua une pause. Les paroles d’Isabelle étaient frappées au coin du bon sens. Qu’avait-elle à craindre ? Elle ne faisait rien de mal après tout. Quant au fameux Robert, il était déjà de notoriété publique qu’ils ne s’appréciaient pas plus que ça. Carole remercia son amie et se replongea sans délai dans l’application, bloqua Robert et hésita avant de passer en mode incognito. Si elle rendait son profil invisible, personne ne pourrait la contacter… Elle s’abstint donc, pour le moment en tout cas.
Elle poursuivit donc l’examen du carrousel et, après plusieurs « non », s’arrêta sur un profil qui se démarquait. Celui de Serge, un veuf dans la petite cinquantaine.
À la différence de Raoul et de sa photo floue, celle de Serge était… parfaite. Mais bien plus encore, c’étaient ses centres d’intérêt – qui collaient à 100 % avec ceux de Carole – et sa description qui retinrent son attention. Celle-ci résonnait particulièrement chez elle : « La vie est courte, nous avons tous eu des hauts et des bas, mais il n’est jamais trop tard pour la prendre du bon côté ».
Prendre la vie du bon côté, cela pouvait paraître anodin, mais la formule parlait énormément à Carole. Sans réfléchir, elle lika son profil et revint à la photo de Serge. Pour ne rien gâcher, il était bel homme et on décelait dans son regard, une gentillesse rare, ainsi qu’une certaine mélancolie. Oh, il n’avait bien sûr pas un regard de chien battu, loin de là, mais elle crut distinguer dans ses yeux les stigmates de ces « bas » qu’il mentionnait dans son profil. Puis, avouons-le, elle lut surtout un charme fou dans le regard de cet inconnu.
Elle réfléchit de longs instants, manqua dix fois de passer à l’acte, avant de s’y résoudre : qui ne tente rien, n’a rien, pensa-t-elle.
Carole entreprit aussitôt de rédiger son premier message : « Cher inconnu, bonjour… »
Bien solo. Mieux à deux.
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