— Tu as fait quoi ?
Élodie était cramponnée à sa tasse de café comme une commère à son ragot. À côté d’elle, Isabelle applaudissait à tout rompre en éclatant d’un grand rire. Carole venait de leur confier qu’elle avait envoyé, il y avait quelques jours de cela, son tout premier message sur DisonsDemain.
— Il s’appelle comment ? Il fait quoi dans la vie ? Vous parlez de quoi ? Tu aimes vos échanges ? Tu as envie de le voir ?
Carole sourit tendrement. Sa fille était si investie ! Isabelle avait eu raison de le noter : rien ne comptait plus pour Élodie que l’épanouissement personnel de sa mère. Et pour le coup, autant dire que la jeune maman était servie.
— Alors…
Carole ménageait son effet, amusée. Élodie et Isabelle étaient suspendues à ses lèvres. Elle prit le temps de souffler légèrement sur son café fumant avant de répondre, évasive :
— Il s’appelle Serge, il a la cinquantaine et il est restaurateur de meubles vintage.
— Alors ça !
Cette fois, Isabelle fit vivement claquer sa main sur la table en signe de grande satisfaction.
— Quelles auraient été les chances que tu croises cet homme dans la vraie vie, ma Carole ? Zé-ro ! Et pourtant, regarde combien vous semblez faits l’un pour l’autre !
Élodie approuva d’un vigoureux signe de tête et toutes deux entreprirent de rappeler à quel point il pouvait être compliqué de trouver quelqu’un, de nos jours. Carole les écoutait en silence, patiente. Elle ne voulait surtout pas briser leur bonne humeur ou ternir leur enthousiasme, mais si ces deux-là croyaient que Serge et elle étaient des âmes sœurs simplement parce qu’il donnait une nouvelle vie à de vieux meubles, il leur en fallait peu pour être satisfaites.
— Je ne suis pas une commode du XIXe, précisa Carole à haute voix.
Ses deux invitées interrompirent leur conversation :
— Comment ?
Carole secoua la tête et agita la main devant son visage. Elles n’avaient visiblement pas saisi l’allusion. Élodie haussa les épaules et attrapa un sablé tandis qu’Isabelle estima que le moment était venu de se repoudrer le nez.
— Il ne faut pas que je traîne, expliqua-t-elle tout en appliquant son rouge à lèvres, Karl m’attend !
— Eh bien, eh bien ! On dirait que c’est une affaire qui roule, tous les deux.
— En effet, approuva Isabelle d’une voix claire. Je crois qu’en ce moment, j’ai besoin de simplicité et je dois avouer que Karl est vraiment un ange de patience. Tout est facile avec lui. Je ne vais pas m’en priver ! D’ailleurs, ma Carole, si tu veux mon avis : les blablas, c’est sympa, mais la vraie vie, c’est mieux. Propose-lui une rencontre, à ton Serge, ça change tout, vraiment !
Carole préféra se contenter de sourire en hochant vaguement la tête. Si Isabelle était tout feu tout flamme, elle était davantage sur la réserve. Elle se sentait tout bonnement incapable de rencontrer Serge pour l’instant. Apprendre à le connaître à distance lui suffisait et la rassurait, cela évitait de trop s’engager émotionnellement et de s’assurer qu’ils étaient bien sur la même longueur d’onde.
C’est pourquoi leurs échanges se poursuivirent, à l’écrit. Force était de constater, cependant, qu’ils étaient de plus en plus réguliers. Un matin, Carole se surprit même à souhaiter à Serge une bonne journée alors qu’elle-même était en route pour le travail. Ce constat l’amusa d’abord… Avant de l’interpeller : était-ce vraiment ce vers quoi elle voulait tendre ? Soudainement anxieuse, elle se garda bien de prendre de ses nouvelles tout au long de la journée et fut ravie de constater qu’il en avait fait de même. Ce fut seulement sur les coups de 21h qu’il lui écrivit un petit : « Comment se passe ta soirée ? » qui, pour une raison qu’elle ne sut identifier, la rassura. Elle répondit rapidement : « Bien calme, après une folle semaine de travail ! Je ne sais pas si j’ai envie de regarder un bon film ou de découvrir un nouveau livre… Quel dilemme ! ». Elle guetta sa réponse. Une minute, puis deux, puis dix. Pourquoi mettait-il tant de temps à réagir ? Était-il occupé ? Mais dans ce cas, pourquoi lui avoir écrit si c’était pour l’ignorer ensuite ?
— Qu’est-ce que ?
Carole se figea. Quelque chose s’agitait sur l’écran.
Pas un nouveau message.
Pas un nouvel email.
Mais un appel entrant.
Serge l’appelait via DisonsDemain !
Une bouffée de chaleur l’envahit, elle fit trois tours sur elle-même et finalement, sans réfléchir davantage, elle décrocha.
— Allô ? fit Carole d’une voix hésitante.
— Bonsoir Carole ! J’espère que je ne te dérange pas ?
Sa voix était profonde, posée, très calme. Pendant que le cœur de Carole battait la chamade, quelque chose se contracta au niveau de son estomac. Un instant, elle se demanda si elle n’avait pas à nouveau quatorze ans.
— Absolument pas, répondit-elle d’une voix qui, elle l’espérait, ne trahissait ni sa surprise ni son trac. Je crois que je n’étais de toute façon pas prête à résoudre mon dilemme toute seule.
Il rit, elle aussi. En quelques secondes, Carole se détendit et fut contrainte de reconnaître qu’une telle discussion était bien plus agréable à ses yeux que des messages écrits. C’était une nouvelle étape, quelque chose de plus spontané. Elle aurait pu ignorer l’appel, ou bien encore trouver n’importe quelle excuse pour raccrocher… mais elle n’en fit rien. Parce que Serge était agréable, parce que Serge la mettait à l’aise et parce que Serge lui donnait l’étrange impression de ne pas être tout à fait un étranger. Alors, quand ils se souhaitèrent bonne nuit, ce fut le cœur léger que Carole partit se coucher.
Cet appel changea immanquablement quelque chose dans leur relation. Serge l’appela à nouveau, plusieurs fois, et ce fut chaque fois un réel plaisir. Carole le reconnut auprès d’Isabelle : c’était tout à coup beaucoup moins superficiel. Ils ne faisaient que parler cuisine, cinéma, littérature, randos et mobilier vintage, mais tout était fluide, simple, agréable. Lorsqu’elle s’en ouvrit à Isabelle, sa réaction fut immédiate :
— Maintenant, il va falloir que tu lui montres que tu es une femme qui prend les devants, toi aussi ! Si c’est toujours lui qui t’appelle, il va finir par se lasse.
Carole songea qu’elle n’avait pas tort. Il était temps qu’à son tour, elle fasse un pas vers Serge. Non pas parce qu’elle avait besoin de lui prouver quoi que ce fût, ni parce qu’elle voulait le séduire à tout prix. Mais une relation, quelle que soit sa nature, se construit à deux et elle tenait à faire sa part. Elle ne savait pas ce que tout cela allait donner, mais cela lui faisait le plus grand bien d’avoir quelqu’un d’autre à qui parler. Carole ne l’avait jamais réalisé, mais elle avait besoin de nouveauté. Et cette rencontre était arrivée à point nommé. Le soir même, elle l’appelait. Il décrocha rapidement et elle ne se formalisa pas des formules de politesse habituelles. Elle préféra lui demander, de but en blanc :
— Retaper toute seule une bergerie, bonne ou mauvaise idée selon toi ?
Elle s’attendait à ce qu’il ne comprenne pas, qu’il soit un peu surpris qu’elle ne prenne pas le temps de le saluer. Mais Serge rebondit immédiatement. Il donna son avis, posa des questions. Carole lui parla plus avant de son projet, son envie. De ce qui la freinait, aussi. Elle se confiait, sans honte, sans fioriture :
— C’est fou : je sais exactement ce que je dois faire et comment je dois le faire, et pourtant, rien n’avance. Je crois que je me dis que si tout ça aboutit, je n’aurai plus rien à rêver. Et ça me fait peur.
C’était la première fois qu’elle avouait ceci à quelqu’un. Isabelle elle-même n’était pas au courant. Serge ne répondit pas tout de suite. Elle l’entendait respirer profondément ; il cherchait ses mots.
— Mieux vaut-il avoir tout réalisé, ou regretter le restant de tes jours de ne pas avoir fait de tes rêves une réalité ?
Nouveau silence. La voix de l’homme résonna de longues secondes.
— Merci, Serge, répondit finalement Carole.
Elle aurait aimé en dire davantage, lui exprimer combien elle lui était reconnaissante de l’avoir écoutée. Mais elle préféra plutôt alléger l’atmosphère et enchaîna, joyeusement :
— En attendant d’avoir ma bergerie, qu’est-ce que je peux faire pour te remercier ? Parce qu’entre mon dilemme de l’autre soir et toutes nos conversations, je dois te dire que tu me rends la vie plus facile !
Elle se sentit rougir légèrement : n’était-elle pas en train de délivrer un mauvais message ? Elle lui était profondément reconnaissante d’être là. Elle appréciait réellement leurs échanges. Tout simplement. Elle se permit d’insister :
— Alors ? Dis-moi !
Serge fit mine de réfléchir, puis répondit finalement, d’une voix qui trahissait un léger trouble :
— Eh bien, puisque c’est moi qui choisis… Que dirais-tu que nous nous rencontrions ? Je veux dire, pour de bon ?
Carole se figea. Cette question, elle ne l’avait pas vue venir ! Elle crut sentir Élodie et Isabelle se pencher sur ses épaules et l’implorer d’accepter. Mais le voulait-elle vraiment ? Rencontrer Serge, n’était-ce pas officialiser quelque chose ? Et en même temps, pourquoi ne pas tenter ? se dit-elle. Alors, finalement, dans un souffle enthousiaste, elle s’entendit répondre :
— Parfait ! Disons samedi, 14h00 à la fontaine à l’entrée de la ville ?
Bien solo. Mieux à deux.
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