Épisode 5 – Confidences pour confidences

Les deux jours qui séparaient Carole de son premier rendez-vous avec Serge lui semblèrent durer une éternité. Des moments d’enthousiasme entrecoupés d’appréhensions et d’un chapelet de questions qu’elle trouvait ridicules : et si j’étais déçue ? Comment va-t-il me trouver ? Et s’il ne ressemblait pas du tout à sa photo ? Quatorze ans. Une fois de plus, elle avait cet âge auquel la moindre peccadille prend des proportions insensées, où le monde s’arrête sur un non-dit ou un regard fuyant. À chaque fois, sa raison reprenait le dessus : « j’ai quand même passé l’âge de ces gamineries et lui aussi, c’est sûr ».

Elle était prise dans un ascenseur émotionnel, avec une intensité qu’elle ne se souvenait pas avoir jamais ressentie. Grisant. C’était le mot. Carole se félicitait de s’être laissée convaincre par Isabelle, même si elle se gardait bien de lui faire part du torrent d’émotions qu’elle éprouvait. La raison reprenait à chaque fois le dessus. Privilège de l’âge ou peut-être une certaine culpabilité d’éprouver ces sentiments qu’elle considérait si juvéniles. Pour couronner le tout, Serge se faisait discret. Avait-il changé d’avis ? Et s’il lui posait un lapin, et qu’elle se retrouve comme une idiote seule à la fontaine, samedi à 14h00 ? Ou à 15h00 ? Jusqu’à quand l’attendrait-elle ?

Submergée par ce flot de sensations contradictoires, Carole se fixa une règle, qu’elle vit comme un cap : elle ne l’attendrait pas plus de quinze minutes. Le quart d’heure de Rabelais, un point c’était tout !

Bon, allez, peut-être une petite vingtaine de minutes. Après tout, il aurait peut-être une bonne raison d’être en retard… ?

La sonnerie du téléphone la tira de ses pensées. C’était Isabelle :

— Alors, ma chérie ? Je ne t’ai pas beaucoup entendue ces derniers temps… Et tu sais ce que mon petit doigt me dit ?

Sans attendre de réponse, elle enchaîna :

— Que tu es une vilaine petite cachottière !

Estomaquée, Carole répliqua sans réfléchir :

— Comment tu le sais ?

— Ah ah ! Je n’en savais rien, jusqu’à maintenant ! Allez, crache ta Valda !

— Pfff, tu es vraiment diabolique, toi ! On te l’a déjà dit ?

— Tu sais ce que disait Mark Twain ? Je choisirais le paradis pour le climat et l’enfer pour la compagnie !

— C’est sûr qu’avec toi, ils ne risquent pas de s’embêter !

— Allez, ma chérie, je sais très bien ce que tu es en train d’essayer de faire, mais ça ne prend pas. Tu as quelque chose à me dire et je ne raccrocherai pas tant que tu n’auras pas avoué !

Carole connaissait suffisamment Isabelle pour savoir que toute résistance était inutile. Lorsqu’elle avait une idée en tête, il était impossible de la faire dévier. Autant essayer de changer la course de la lune. Elle se résolut donc à passer aux aveux :

— Je vais rencontrer Serge demain.

— Non ! Ben dis donc, tu ne perds pas ton temps, coquine !

— L’hôpital qui se fout de la charité !

— Je le prends comme un compliment et je constate que l’élève dépasse la maîtresse !

— C’est juste une rencontre, Isabelle. Je suis… curieuse.

Le ton d’Isabelle changea soudain. Elle se fit plus grave :

— Tu sais que tu n’es pas obligée, n’est-ce pas ?

— Évidemment que je le sais ! Ça s’est présenté comme ça, et puis voilà. Je n’ai pas d’attentes particulières, je me suis dit que je n’avais pas grand-chose à perdre, voilà tout.

Après quelques instants de silence, Isabelle reprit :

— Tu as besoin de moi ?

— Pour quoi faire, Isa ?

— Je ne sais pas, t’aider à choisir ta tenue, te prodiguer mes conseils, surveiller que tu ne te fasses pas enlever par un réseau du crime organisé qui t’enverra à l’autre bout du monde dans un container…

Carole ne put s’empêcher de rire aux éclats, avant de couper court :

— C’est adorable, mais je doute qu’il m’arrive quoi que ce soit ! Quant à ma tenue, ma robe longue à fleurs fera parfaitement l’affaire.

— Bon choix. Sobre mais sexy. Ample, mais soulignant ta silhouette. Lumineux et léger. Je valide !

La conversation ne s’éternisa guère plus, laissant à Carole une sensation de bien-être qui lui permit d’affronter avec sérénité la dernière nuit la séparant de la rencontre.

Le lendemain matin, plus encore qu’à son habitude, elle se fit hyperactive, enchaînant son marché hebdomadaire avec un café en terrasse, où elle prit le temps de lire son journal. Elle n’eut guère le temps de s’appesantir sur ce qui l’attendait en rentrant à son appartement, tant elle s’était organisé un planning serré. Vinrent treize heures, puis treize heures trente. Elle prit une profonde inspiration avant de claquer la porte de chez elle.

La fontaine l’attendait, sa margelle semblait lui tendre les bras et Carole s’avança, d’un pas qu’elle voulut le plus assuré possible. Les alentours étaient quasi déserts, en dehors d’une famille dont la fille apprenait à à faire du vélo sans les roulettes stabilisatrices, un couple d’ados enamourés et quelques passants qui s’attardaient, profitant du soleil printanier. Elle jeta un œil à sa montre. 13h55… L’espace d’un instant, Carole envisagea de s’attabler en terrasse et de guetter Serge, mais elle réfréna bien vite cette idée : « si je voulais passer pour une prédatrice, je ne m’y prendrais pas autrement ! ». Elle se résolut donc à s’asseoir sur la margelle, nez au vent. Elle ferma les yeux et prit une profonde inspiration, qu’elle n’eut pas le temps d’expirer, interrompue par une voix qu’elle reconnaissait :

— Carole ?

Elle ouvrit les yeux et mit quelques instants à y voir clair. La silhouette qui se tenait face à elle ne pouvait appartenir qu’à Serge. La voix, les tempes grisonnantes, le regard, c’était bien lui ! Son cœur s’accéléra et Carole eut l’impression qu’elle allait tomber à la renverse. Il n’aurait plus manqué qu’une baignade improvisée dans la fontaine !

Serge sembla saisir sa gêne et entreprit de la mettre à l’aise :

— Ça peut sonner creux, mais je n’ai pas l’habitude de ce genre de rendez-vous… Pour tout te dire, je suis un peu anxieux, sans trop savoir pourquoi…

— Eh bien, cela nous fait un point commun supplémentaire ! Que dirais-tu d’une petite dose de caféine, histoire de pousser nos limites ?

Serge opina en silence, affichant un sourire qui faisait ressortir d’adorables pattes d’oie, sur lesquelles Carole s’attarda tout en se levant.

Lorsqu’ils furent installés et leurs cafés servis, Serge prit la parole :

— Faire ta connaissance sur le réseau a été pour moi inattendu et très agréable, mais…

Aïe, pensa Carole. Il ne manquerait plus qu’il lui dise qu’il fallait qu’ils parlent et elle était bonne pour un massage cardiaque !

Serge reprit :

— Nous n’en avons pas tellement parlé, mais je ne cherche pas particulièrement quelqu’un pour me « recaser » ou « assurer mes vieux jours ».

Comprenant que ses paroles pouvaient prêter à confusion, il tempéra aussitôt :

— Je ne suis pas non plus à la recherche d’aventures d’un soir… Oh la la, c’est finalement plus compliqué que je ne l’aurais pensé.

Il semblait sincèrement gêné. Carole entreprit de le rassurer :

— Écoute, je suis comme toi. Je suis là un peu par hasard… mais je suis ravie d’être là, ici et maintenant, et de te rencontrer « en vrai ».

Serge fit tourner sa cuiller dans son café – qu’il n’avait même pas sucré – avant d’ajouter :

— Voilà. Je veux être tout à fait transparent avec toi : si je me suis inscrit sur DisonsDemain, c’est principalement parce que mon frère me pousse à rencontrer quelqu’un, à refaire ma vie. Je n’en ressens pas le besoin impérieux, mais comment dire… Il a tellement insisté que je me suis laissé embringuer…

Carole ne put s’empêcher de sourire. Elle y alla de sa confidence :

— Ça alors ! En ce qui me concerne, c’est ma chère amie, Isabelle, qui m’a inscrite sur le site, parce qu’elle ne voulait pas que j’aille seule au mariage de mon ex-mari !

D’un seul coup, toute la pression ressentie jusqu’ici par Carole retomba. Elle se sentit libérée d’un poids et son visage s’illumina :

— Qui l’eût cru ? À nos âges, être ainsi les jouets de la pression sociale de nos entourages respectifs !

— C’est une façon d’avoir la paix…

— Je ne sais pas pour toi, mais en ce qui me concerne, je crois que je vais passer sur le grill ce soir et crouler sous le feu des questions d’Isabelle et de ma fille !

Le sourire entendu de Serge tint lieu de réponse. Il but son expresso d’un trait, avant de poursuivre :

— Tu dois donc assister au mariage de ton ex-mari, c’est bien ça ?

— Absolument. Nous nous sommes quittés en bons termes, il y aura les enfants, la famille… enfin, tu vois le tableau. J’avais imaginé y aller seule, jusqu’à ce que cela ne semble un problème à Isabelle et Élodie.

— Carole, j’ai une proposition à te faire.

En l’espace d’une seconde, mille choses lui traversèrent l’esprit, mais elle ne vit pas arriver ce qui suivit :

— Rendons-nous mutuellement service ! Je t’accompagne au mariage de ton ex-mari et tu m’accompagnes à l’anniversaire de mariage de mon frère. Cela nous permettra d’avoir un peu de répit vis-à-vis de nos entourages respectifs. Enfin, si ma compagnie te convient, bien entendu !

Le plus désarmant fut sans doute cette dernière interrogation, à laquelle Carole brûlait de répondre mais s’en abstint consciencieusement. Elle se contenta de lâcher, un peu détachée :

— Serge, je crois que c’est une excellente idée ! Même si nous avons passé l’âge de nous soumettre aux diktats, c’est une proposition plus que séduisante ! Faisons ça !

Carole sortit immédiatement son téléphone, ouvrit son agenda et demanda :

— Alors, cet anniversaire de mariage, c’est pour quand ?

Bien solo. Mieux à deux.

Bien solo. Mieux à deux.

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